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La fée qui fait rêver les petits
1 juillet 2010

Le peintre de ciel

Il était une fois un petit homme tout pâle qui vivait dans une maison sans fenêtres posée sur la plus haute colline de la région. Sa maison n’avait certes pas de fenêtres mais elle avait un toit tout en verre si transparent qu’on aurait dit qu’il n’y avait pas de toit du tout. Et tout pâle il était car il ne sortait jamais. Il passait ses journées seul au milieu de sa maison carrée, la tête penchée en arrière et des pinceaux plein les mains car il peignait le ciel.

 

Enfin seul, pas vraiment. Il y avait bien Grisemine, un chat qui avait élu domicile dans la maison carrée pour sa tranquillité. Grisemine pouvait entrer et sortir à sa guise, dormir et jouer quand il voulait car à vrai dire le petit homme aux pinceaux ne faisait absolument pas attention à lui. Grisemine avait bien essayé de sympathiser au début mais il avait bien vite abandonné et désormais il vivait sa vie de chat sans se préoccuper de son « maître ».

 

Le petit homme n’avait pas de nom car depuis son installation il n’avait jamais dit à personne comment il s’appelait. Alors dans le village on l’appelait simplement « le fou de la colline ».

Il peignait le ciel, les nuages, le jour, la nuit, la pluie, les orages, la neige, les étoiles, la lune, parfois un arc en ciel. Et son ouvrage était sans fin puisque le ciel changeait tout le temps !

Il voulait fixer le ciel sur la toile mais les nuages avancent, le temps change, le ciel s’assombrit et s’éclaircit. Il devait donc sans cesse enchaîner les toiles. Pas de repos. Pas de loisirs. Juste le ciel. Et les toiles qui s’entassaient dans la maison sans fenêtres.

 

Le petit homme n’avait pas d’amis. Et pas de visiteurs non plus. A l’exception de Monsieur Gudule, l’épicier/droguiste du village. Monsieur Gudule venait chaque semaine avec sa vieille camionnette violette livrer nourriture et matériel dans la maison sans fenêtres.

Monsieur Gudule mettait un point d’honneur à parler au petit homme, à lui raconter les dernières nouvelles du village, les derniers ragots de la vallée. Même si le petit homme ne lui répondait jamais que par des grognements qui rebondissaient sur les murs pleins de la maison sans fenêtres. Monsieur Gudule pensait que cela ne pouvait lui faire que du bien de garder un petit lien avec la civilisation. D’ailleurs il lui adressait souvent ce conseil : « Mais arrêtez-vous donc un peu mon brave Monsieur ! C’est pas humain ce que vous faites ! A force de regarder en l’air vous loupez tout ce qu’il y a autour de vous. Et c’est beau aussi autour vous savez. Le ciel vous a aveuglé. C’est bien triste.»

 

Mais un jour l’impensable survint. Monsieur Gudule arriva en camionnette comme à son habitude mais il avait une mauvaise nouvelle à annoncer au petit homme.

« Je vous ai déposé la nourriture dans la cuisine mais pour vos couleurs il y a un problème. Je n’ai plus de bleu. » dit-il timidement.

Et pour la première fois, Monsieur Gudule vit le petit homme réagir à ses propos.

Il sursauta puis dit brutalement « C’est une blague j’espère Monsieur Gudule ? ».

« Non, non ce n’est pas une blague je n’ai plus de bleu. Ni du clair, ni du foncé, ni du cyan, ni du marine, ni d’indigo, ni du cobalt. Et je ne serai pas réapprovisionné avant un mois. » ajouta Monsieur Gudule.

« Enfin ce n’est pas possible ! » hurla le petit homme. « Un mois !! Mais comment je fais moi pendant un mois !! Je peins le ciel en rose ??! Vous vous rendez compte Monsieur Gudule de ce qui se passe dans le ciel en un mois ?! Mais qu’avez-vous fait de tout ce bleu ?! Vous l’avez mangé ou quoi ?! »

 

Pour une première intervention orale, Monsieur Gudule trouvait que c’était un peu violent.

Il lui répondit donc poliment mais sèchement comme Madame Gudule lui avait appris à le faire avec les clients enquiquinants.

« Non je ne l’ai pas mangé Monsieur. Une personne est simplement passée au magasin et a acheté à Madame Gudule tout notre stock de bleu. Il s’agit d’une femme qui vient de s’installer dans la région et qui vit dans la grande maison perchée sur la falaise. Elle m’a d’ailleurs demandé de lui livrer un stock de bleu toutes les semaines. Vous n’êtes donc plus le seul hurluberlu de la région. Mais elle au moins, elle a eu la politesse de se présenter et d’échanger des paroles aimables avec ma femme en la regardant dans les yeux. C’est pourquoi d’ailleurs je ferai désormais passer ses commandes avant les vôtres. A présent je vous laisse replanter votre nez dans les nuages tout en ne pouvant m’empêcher de penser que vous devriez mettre à profit ce mois sans peinture pour profiter de la vie et ainsi vous défaire de cette étiquette de « fou de la colline » dont on vous affuble au village. »

 Monsieur Gudule reprit alors la route de la vallée au volant de sa camionnette violette, peiné de la réaction de son client mais ravi d’avoir si bien mis en pratique les apprentissages de Madame Gudule.

 

Quant au petit homme, ivre de rage, il décida d’abord d’essayer d’obtenir du bleu en mélangeant des vieux pots de jaune et de vert qu’il avait retrouvé dans ses placards. Mais rien n’y faisait. Il ne parvenait pas à recréer la bonne teinte et de toute façon il n’en aurait jamais assez pour tenir un mois entier. Désespéré, il se résolut à sortir de chez lui et à se diriger vers la maison perchée sur la falaise où vivait sa nouvelle rivale.

Cela faisait des années que le petit homme n’était pas sorti de sa maison. A vrai dire, il n’en n’était même jamais sorti depuis qu’il s’était installé dans sa maison trois ans auparavant. Mais l’heure était suffisamment grave pour qu’il s’aventure hors de la maison sans fenêtre. Il entama donc son périple vers la maison de la falaise suivi de Grisemine qui n’en croyait pas ses moustaches et qui tenait à partager la première sortie de son maître.

 

Le ciel était bleu et il allait le rester. Le petit homme le savait car son expérience du ciel lui permettait de savoir exactement le temps qu’il allait faire. Malgré cela il marchait très vite sans prendre le temps de regarder le paysage qu’il n’avait pourtant jamais eu l’occasion d’admirer. Il filait à travers champs, obsédé par sa précieuse peinture bleue. Enfin la maison de la falaise apparaissait au bout du chemin. Il accéléra encore le pas au grand désespoir de Grisemine dont les pattes commençaient à faiblir.

Le petit homme tambourina nerveusement à la porte de la maison de la falaise. Il se retrouva alors en face de la propriétaire des lieux et ne sût pas dire autre chose que « Rendez moi ma peinture bleue ». Un long silence suivit qui l’amena à ajouter « s’il vous plait madame ». Un autre long silence gênant l’invitait à apporter plus d’explications. Ce qu’il se trouva contraint à faire. « Je suis Triton Pastel, j’habite la maison sur la colline et je peins le ciel. Mais aujourd’hui Monsieur Gudule, mon fournisseur, m’a appris que je ne pourrai pas avoir de peinture bleue avant un mois parce que vous avez acheté tout le stock pour peindre la mer. Mais moi j’ai besoin de bleu et je ne peux pas attendre.»

 

« Enchantée Monsieur Pastel. Je suis Eugénia Nout. Madame Gudule m’a parlé de vous. Je suis étonnée que vous ayez fait le chemin jusqu’ici et que vous m’ayez donné votre nom. Mais dites-moi pourquoi devrais-je vous donner ma peinture ? Le ciel est-il plus important que la mer ? Votre travail plus important que le mien ? »

Monsieur Pastel ne sût que répondre. Au fond de lui bien sûr il trouvait le ciel mille fois plus intéressant que la mer mais il sentait bien que Madame Nout ne serait pas de son avis. Il décida donc d’abandonner. De toute façon il n’aimait pas beaucoup parlementer et encore moins rester loin de chez lui et de ses pinceaux. Il lança donc un court « Tant pis, je trouverai une autre solution. Au revoir ».

 

Madame Nout restait pour le moins stupéfaite. D’autant qu’elle se sentait prête à lui céder une partie de sa peinture. Grisemine était lui aussi décontenancé. Il n’avait pas eu tellement le temps de récupérer.

Monsieur Pastel rentra donc chez lui. Mais à sa grande surprise sur le chemin du retour il n’avait pas pensé au ciel. Il avait même pris le temps de cueillir des fleurs. Et quand il arriva chez lui il trouva ses murs bien tristes. Il ne pensa pas à prendre ses pinceaux mais joua avec Grisemine qui ne comprenait décidément plus son maître mais qui se prêta au jeu malgré ses coussinets douloureux.

 

Triton Pastel ne se reconnaissait plus. Il mangea peu et dormi peu mais surtout, surtout il ne peignit pas !!! Il lui restait de quoi peindre encore quelques jours mais il n’en fît rien. Il ne chercha même pas une solution à sa pénurie de peinture bleue. Il passa la nuit la tête vers le ciel mais n’éprouva pas le besoin de peindre ce qu’il voyait. Triton Pastel était-il malade comme le craignait Grisemine ? Non. Triton Pastel avait simplement la tête du côté de la falaise plutôt que dans les nuages.

 

Madame Nout, quant à elle, n’avait pu s’empêcher de repenser à Triton Pastel. Elle pouvait bien partager sa peinture avec ce pauvre homme. Il avait l’air tellement attaché à son travail. Elle ne voulait pas avoir de mauvaises relations avec ce qu’on aurait pu appeler un collègue finalement. Peut-être qu’un jour elle aussi aurait besoin qu’il lui rende un service. Et puis Madame Nout avait bien envie de voir cette fameuse maison sans fenêtres. Et tout simplement Madame Nout avait envie de revoir Monsieur Pastel. Elle emballa donc plusieurs pots de peinture bleue, les déposa dans les sacoches de son vélo et partit en direction de la maison sans fenêtres.

 

Monsieur Triton fût donc tiré de ses rêveries par le bruit de la sonnette. Surpris, il alla tout de même, pour la première fois, ouvrir la porte à un visiteur. Qui n’était autre que Madame Nout et ses pots de peinture. « J’ai bien réfléchi dit-elle, et je ne veux surtout pas vous empêcher d’exercer notre beau métier de peintre. Et je ne veux pas non plus me fâcher avec vous alors je vous amène de quoi tenir un petit moment. »

 

Triton Pastel se sentait comme paralysé mais il ne voulait pas paraître idiot alors il invita Madame Nout à entrer. Il voulait lui offrir à boire pour la remercier. Et il fît même mieux puisqu’il lui offrit les fleurs qu’il avait cueillies la veille. Grisemine failli en perdre ses moustaches.

 

Et sûr de lui il déclara : « Je vous remercie pour votre geste généreux mais je crois que je vais suivre les conseils de Monsieur Gudule. Je vais mettre à profit ce mois sans peinture pour procéder à quelques changements. Pour commencer je crois que je vais ajouter quelques fenêtres à ma maison. Puis je vais faire quelques aménagements intérieurs et je vais aller faire mes courses moi-même au village. Qu’en dîtes –vous ?»

 

« C’est beaucoup de changements d’un coup et en très peu de temps. Je ne sais pas quelle mouche vous a piqué mais je pense que vous aurez besoin d’aide. Je vous propose donc de vous apporter mon soutien Monsieur Pastel. » fut la réponse d’Eugénia Nout.

 

Et c’est ainsi que pendant les jours et les semaines qui suivirent Monsieur Pastel et Madame Nout s’appelèrent Triton et Eugénia, allèrent ensemble au village faire des courses à la plus grande surprise de tous les habitants et particulièrement de Monsieur et Madame Gudule, ajoutèrent des fenêtres à la maison de la colline, plantèrent des fleurs dans le jardin de la maison de la falaise et y percèrent une fenêtre dans le toit pour que Triton puisse voir le ciel, repeignirent la camionnette de Monsieur Gudule, firent de la bicyclette, aménagèrent l’intérieur de Triton Pastel avec un peu moins de toiles et un peu plus de meubles, et trouvèrent même une compagne de jeu à Grisemine…

 

Triton Pastel et Eugénia Nout étaient désormais au centre de tous les ragots de la vallée mais ça, Monsieur Gudule se gardait bien de leur dire. On les disait amoureux. Et on avait raison.

Triton Pastel essaya même de peindre la mer et Eugénia Nout inséra le ciel dans ses toiles de mer. Grisemine et Griseminette avaient maintenant deux maisons. Le fou de la colline avait trouvé sa folle.

Ils vécurent bien sûr heureux et firent beaucoup de toiles bleues…


La fée qui fait rêver les petits

* Toute reproduction intégrale ou partielle des textes ci-dessus présentés, faite sans mon consentement est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.

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Commentaires
La fée qui fait rêver les petits
  • Passionnée de littérature, j'écris de petites histoires pour faire rêver les petits. Contes et histoires du soir farfelues vous attendent, et bien sûr des petites nouvelles sur les nouveaux livres jeunesse et illustrateurs que j'aime!
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